La haie sous l’œil du naturaliste

Introduction générale sur le rôle écologique des haies

Elle ne laisse aucun acteur du monde champêtre indifférent. Randonneur, agriculteur, naturaliste, chacun s’est déjà entendu vanter les bienfaits de la haie. Mais est-ce un mythe ou une réalité ? Sujet très bien étudié, les services écosystémiques des haies ne sont plus à prouver.

Avant tout, la haie protège. Elle protège du vent, des intempéries, la faune et la flore, du pollen d’OGM indésirable, et parfois même de l’œil de notre voisin. Par ces temps torrides induits par le réchauffement climatique, allant d’épisodes de sécheresse jusqu’aux déluges de pluies, les haies offrent un effet brise-vent contre ces extrêmes et ainsi qu’un abri pour le bétail ou la faune sauvage. Autour d’elles, un microclimat favorable se développe.

Par ailleurs, celles-ci freinent l’érosion et limitent la perte de terres fertiles. Dans le même temps, le paysage bocager participe à la récupération des éléments entraînés par lessivage : en clair, les eaux et tous les éléments qu’elles charrient sont filtrés, voire même stoppés par cette ceinture naturelle. En zone agricole, un effet bénéfique de ces bandes naturelles est constaté sur le rendement des cultures. Si une zone étroite avoisinant la haie (environ 1,5 fois sa hauteur) possède un rendement plus faible, de moins 80 %, celui-ci est considérablement augmenté dans les mètres suivants, jusqu’à 10 à 15 fois la hauteur de la haie, pour un gain allant jusqu’à 50 %.

Le bénéfice de la haie composée d’une importante partie invisible – comme la partie immergée des icebergs – est également à trouver dans le sol. Les racines jouent en effet un rôle primordial dès lors qu’elles facilitent l’infiltration des eaux pluviales et contribuent au décompactage du sol (celle-ci assure une bonne respiration du sol et a un impact favorable sur sa qualité). Pareille organisation augmente le stock de matière organique, laquelle est bénéfique tant pour la litière aérienne que souterraine.

moineau domestique dans la haie - Julien Preud'homme
Dans l'intimité de la haie, les moineaux nourrissent leurs jeunes sortis du nid © Julien Preud'homme

Un espace tampon très utile

L’une des magies de la haie pour contrer les effets de l’agriculture intensive réside dans le rôle d’écran protecteur contre les pesticides et engrais aux abords des espaces naturels, des jardins et des potagers. De cette manière, l’eutrophisation et l’apport et/ou la disparition d’espèces dans les réserves naturelles sont réduits. Une végétation rudérale apparaît souvent au détour des lisières forestières ou de part et d’autre des sentiers. En revanche, quand les populations de ces plantes s’acheminent à l’intérieur d’un espace naturel eu égard à sa proximité avec une parcelle agricole, le danger corollaire est la diminution de la richesse biologique du site et la dégradation de l’état de conservation.

Ces étroites bandes de biodiversité, parsemées dans le paysage, améliorent les conditions de vie ainsi que la circulation de notre faune sauvage : elles participent au maillage écologique. De nombreux pollinisateurs, hébergés dans les haies, contribuent également à un meilleur rendement des cultures avoisinantes. Lorsque les bocages sont maintenus durablement dans les zones agricoles, le réservoir d’espèces auxiliaires est alors bénéfique, de telle manière que les espèces dites ravageuses des cultures ne pourront pas s’y développer de manière durable, compte tenu de la présence en nombre de prédateurs.

En plus d’être favorables pour la faune locale et sauvage, ces arbustes constituent une offre fourragère supplémentaire pour le bétail. Les feuilles, les bourgeons et les jeunes rameaux présents à hauteur des animaux sont appétants et recèlent de nombreux minéraux (potassium, magnésium, zinc par exemple), à valeur nutritive différente, voire même antiparasitaire selon les essences.

Quand l’écologie peut rimer avec l’économie, la durabilité est assurée ! C’est également les enjeux de l’agroforesterie. Celle-ci est un mode de production associant dans une parcelle des plantations d’arbres et d’arbustes à d’autres cultures, en bordure ou en plein champ. Ces alignements d’arbustes, structurés ou non, participent, à certains égards à une rentrée d’argent supplémentaire pour son propriétaire : parmi toutes les applications possibles, l’on peut souligner la production de biomasse ligneuse (ligniculture), la production de fruits si la haie comporte une fraction d’essences à fruits secs ou charnus, la production de miel si celle-ci est composée d’essences mellifères…

Araignée-crabe (Xysticus sp.) - Julien Preud'homme
Araignée-crabe (Xysticus sp.), un auxiliaire à l'affût d'une proie dans la haie © Julien Preud'homme

Richesse biologique et paysagère

En définitive, les éléments qui contribuent à la richesse biologique et à une fonctionnalité élevée des haies résident majoritairement dans la diversification des étages et des essences (indigènes !) qui la composent. La structuration et la diversification des prairies bocagères par ces éléments ajoutent une valeur patrimoniale à notre paysage. Ces alignements d’arbres et d’arbustes offrent alors le gîte et le couvert à d’innombrables espèces ! Attardons-nous plus un instant sur certaines d’entre elles.

Tout d’abord, on pense bien entendu aux oiseaux. Mésanges, accenteurs, linottes, moineaux ou encore fauvettes, autant d’espèces que nous pouvons observer – ou écouter – aux abords des haies. Chez nos amis à plumes, une espèce tire particulièrement profit de ces habitats bienvenus, il s’agit de la pie-grièche écorcheur (Lanius collurio), qui nidifie dans les arbustes épineux. Bien souvent, cet oiseau se laisse admirer, perché au sommet d’un buisson. Le menu de la pie-grièche écorcheur se compose généralement d’insectes de grande taille (gros coléoptères, sauterelles…) et de petits vertébrés (lézards, rongeurs, oiseaux). Ce passereau tire profit des haies comme nul autre : il s’autorise à garder le surplus de nourriture qu’il a chassée en empalant ses proies sur une épine (un fil de fer barbelé peut s’y substituer) pour la consommer plus tard. La haie lui sert donc également de garde-manger !

La nuit tombée, c’est aux ailes membraneuses du grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum) que les ailes à plumes cèdent leur place. Il est l’une de nos plus grandes espèces de chauves-souris. Au crépuscule, il s’envole pour parcourir le bocage voisin de son gîte estival à la recherche de bousiers, coléoptères de taille moyenne liés aux prairies pâturées. Servant véritablement de routes de vol, les haies constituent un élément indispensable du territoire de chasse de cette espèce, le guidant dans la nuit. C’est là, dans les haies hautes, larges et denses, qu’il glanera ses proies sur le feuillage, ou qu’il se suspende pour les capturer à l’affût. Par ailleurs, la continuité de ces éléments dans le paysage est garante de la survie de l’espèce afin de leur donner accès à suffisamment de nourriture : elle peut aisément parcourir jusqu’à 20 km par nuit, un réseau bocager correctement connecté est donc capital (des ouvertures d’un maximum de 10 mètres environ sont tolérées).

Les essences ligneuses qui composent ces cordons arbustifs sont nombreuses, et certaines en sont même emblématiques : érable et orme champêtres, pommier et poirier sauvages, charme, noisetier, néflier, prunellier, aubépines, viornes, cornouillers, sorbiers, bourdaine, houx, églantier… Autant d’espèces présentant chacune un atout différent. À leur pied s’épanouit un cortège de plantes herbacées dites d’ourlets, de lisière, à l’interface entre la lumière et l’ombre. Les haies servent par ailleurs aussi de supports aux plantes grimpantes, chez nous, la clématite blanche (Clematis vitalba), la bryone dioïque (Bryonia dioica), le houblon (Humulus lupulus), le chèvrefeuille des bois (Lonicera periclymenum) et bien sûr lierre grimpant (Hedera helix) sont des espèces très courantes.

Les haies sont aussi le refuge d’innombrables insectes. Ils s’y abritent du vent, des prédateurs et des intempéries, survivent à la mauvaise saison et s’y reproduisent. Certaines essences sont les hôtes de plusieurs espèces de papillons de jour, dont certaines sont patrimoniales. Mais la diversité entomologique des haies ne se limite pas à ces sympathiques visiteurs.

C’est au travers de l’exemple des aubépines, arbustes recelant une biodiversité insoupçonnée, que se poursuit la lecture. Rendez-vous en pages 24-25 du numéro 09 des Carnets des Espaces Naturels.

BIBLIOGRAPHIE : 

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  • CPIE Bresse du Jura. Vertus de quelques arbustes sauvages de nos haies champêtres. 6p.  
  • Goret, T. (2017). Les haies bocagères. Life Prairies Bocagères. Natagora asbl, Namur. 12 p. 
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  • Hubeaux, D. (2020). Mahaie.be – Haies si on plantait ?. Des schémas types pour installer des haies adaptées à ma région et à mes objectifs. AWAF asbl. Consulté : http://mahaie.be/ 
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  • Percy, C. (2008). Des haies pour demain. Collection “Nature et Forêts » n°1. Service public de Wallonie. 64 p. 
  • Prom’Haies (2012). Fonctions agronomiques – effet brise-vent en polyculture, maraîchage et arboriculture.  Consulté sur : https://www.promhaies.net/association/pourquoiplanter/fonctions-agronomiques,696/  
  • Sempé, L. (2020). Les atouts des haies. Consulté sur https://www.entraid.com/articles/haie-ses-atouts  

Sordello R. (2012). Synthèse bibliographique sur les traits de vie du Grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum (Schreber, 1774)) relatifs à ses déplacements et à ses besoins de continuités écologiques. Service du patrimoine naturel du Muséum national d’Histoire naturelle. Paris. 18 p.

Crédit photo © Julien Preud’homme

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