La lutte des chasses

La chasse et ses dérives - Numéro 22 de la revue Carnets des Espaces Naturels

Le 21 août 2024, le gouvernement suédois autorise l’abattage de 486 ours, soit 20 % de la population totale d’ursidés sur tout le territoire. Le 1er septembre, le Conseil Fédéral suisse autorise, pour la deuxième année consécutive, l’abattage « préventif » de meutes entières de loups en dépit de l’avis des scientifiques et des associations naturalistes. Ursula von der Leyen n’en demanderait pas moins pour venger puérilement la mort de Dolly, son poney. Au Texas et en Afrique australe, il existe de beaux ranchs où sont élevés parmi les plus majestueuses espèces animales, des lions, des léopards, des girafes, des antilopes, des ours, des éléphants… avec pour seul objectif de servir de cibles vivantes dans des enclos pour des millionnaires en mal d’adrénaline facile. En Wallonie, on ne tuera pas d’éléphants mais le tir de grands cerfs en pleine période de reproduction dans les chasses royales de Saint-Hubert ou des chasses privées est aussi réservé à une « élite » particulière. Alors que le seizième sommet sur la biodiversité (COP 16) se tient à Cali, en Colombie, on peut s’étonner de voir à quel point il est encore très compliqué d’avoir un débat raisonnable avec les représentants traditionnels du monde de la chasse comme le Royal Saint-Hubert Club de Belgique.

S’il y a bien un sujet extrêmement clivant au sein de la société actuelle, c’est celui de la chasse. D’un côté, on est convaincu que tuer des animaux pour son seul plaisir, et encore plus quand celui-ci est issu de l’élevage, relève d’une certaine forme de cruauté sadique et perverse, de l’autre, on relèvera qu’il s’agit d’une pratique multimillénaire et inaliénable intimement liée à l’histoire de l’humanité et aux cultures locales, et qu’elle est nécessaire pour réguler des espèces. Entre les deux, il existe une large diversité de nuances complexes et souvent difficilement conciliables.

À l’aube de l’humanité, la chasse était clairement destinée à la subsistance. Certains peuples la pratiquent encore sous cette forme, mais ils éprouvent également toujours le besoin de célébrer l’esprit des animaux selon des cérémonies et des rites ancestraux tout en ne prélevant que le strict nécessaire aux besoins de la tribu ou de la famille. Cela n’a toutefois pas empêché inconsciemment certaines dérives dont l’aboutissement est, en partie, l’extinction massive de la mégafaune sur plusieurs continents. Avec l’avènement de l’agriculture, la chasse devient de plus en plus une pratique de loisirs où le fait de rapporter des trophées augmente le prestige de la noblesse et des classes dominantes, et cela depuis l’époque mésopotamienne jusqu’à nos jours. L’époque médiévale voit ses premiers domaines de chasses royales. La technologie et la sophistication des armes permettent d’atteindre facilement de plus gros animaux et en plus grand nombre. L’exemple de William Frederick Cody, dit « Buffalo Bill » massacrant frénétiquement les bisons américains jusqu’à leur quasi-extinction est assez éclairant.

À la Révolution française, elle se démocratise plus ou moins et le privilège du droit de chasse est aboli, ce qui entraîne une chasse généralisée et une extermination du gibier. Pour la juguler, Napoléon 1er instaure le système des « permis de chasse ». D’un point de vue mondial, les colons européens apportent avec eux leurs traditions de chasse et imposent souvent de nouveaux systèmes de propriété foncière et de gestion du gibier sans beaucoup d’égards pour l’équilibre des milieux naturels, de la conservation des espèces et des coutumes des peuples indigènes.

Actuellement, dans notre pays, elle est souvent considérée comme une pratique sportive élitiste, masculiniste, avec ses codes et ses coutumes. Pour la chasse au gros gibier, c’est une forme de rituel rassurant dans les milieux plutôt aisés et conservateurs où chacun doit rester à sa place, les tireurs et les manants qui rabattent.

En Wallonie, la chasse telle qu’elle est pratiquée et contrôlée est un héritage dépassé qui doit s’adapter aux enjeux du 21e siècle. De nombreuses dérives comme le nourrissage ou la protection du capital reproducteur des tirs ne font qu’augmenter les populations dont les chasseurs se plaignent de ne pas avoir de temps pour les contrôler. Et lorsque des prédateurs naturels peuvent participer à cette régulation, ils sont désignés comme des concurrents. Au-delà de ces paradoxes et arguments d’opportunités improbables, la chasse cristallise le débat sur l’équilibre et la gestion des espaces naturels, l’accès à la nature pour le reste de la population et celui du bien-être animal. Il est donc urgent de mettre sur la table une modernisation de la loi sur la chasse qui aurait déjà pu être initiée il y a plus de 20 ans après un travail parlementaire de qualité.

Cet article est l’édito des Carnets des Espaces Naturels N°22.

Crédit photo : Adam Frans van der Meulen : « Louis XIV et la Cour chassant en vue du château de Meudon » (entre 1695 et 1705) © Château de Versailles

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