Les nouveaux sauvages

En 2014, sortait un film à sketches argentino-espagnol « Les nouveaux sauvages (Relatos salvajes – littéralement « récits sauvages ») » du réalisateur Damián Szifrón. Dans ce film aussi cruel que désopilant, une série de personnages, plongés dans le stress, la souffrance et la dépression, craquent et se laissent aller à leurs plus bas instincts de vengeance. Le terme français « sauvage » est ici utilisé au sens brutal et barbare laissant entendre que l’humain se comporte comme un animal alors qu’il s’agit exactement du contraire, aucun animal ne se comporterait comme les humains du film.

La langue française peut donc facilement être une source de malentendu avec ce mot « sauvage » puisqu’il désigne à la fois le brutal, le primitif (mais devenu désuet) et le naturel, alors qu’en anglais, nous avons trois sens et donc trois mots : « savage », « primitive » et « wild ». C’est pour cette raison que la droite extrême britannique ne pourrait pas verser sur la mauvaise pente sémantique comme le fait sans scrupules la française en parlant d’« ensauvagement » des banlieues quand celles-ci explosent comme ce fut encore le cas récemment. Pourtant, l’origine du mot « sauvage » vient du latin silvaticus « fait pour la forêt » et « qui est à l’état de nature ».

Au même titre que le climat, laisser la Nature reprendre ses droits sur de grandes superficies et la voir reconstituer de nouveaux équilibres après des siècles de régression dramatique dans toute l’Europe est une urgence absolue, n’en déplaise aux chantres de l’économie magique. Bien que la création de nouvelles réserves naturelles soit déjà très utile, rendre la Nature libre et lui permettre de réoccuper une place suffisante, connectée est vitale pour la biosphère, humains compris. Tous les humains.

2043, rêvons un peu…

Les nouvelles générations, qui se sentaient bien plus concernées que la majorité d’entre-nous, sont arrivées au pouvoir et ont bien compris qu’il y allait de leur propre survie si elles n’agissaient pas radicalement pour éviter l’effondrement de la biodiversité. Après quelques dernières passes d’armes avec certains lobbies moribonds arrivés au bout de leur logique mortifère, de nouvelles têtes charismatiques ont investi les cénacles communaux, régionaux, nationaux et européens. La révolution copernicienne a finalement eu lieu et des moyens colossaux ont été alloués pour repenser nos territoires, notre agriculture, notre mobilité et notre urbanisme, et redonner une grande place à la Nature.

Les saumons grouillent à nouveau dans la Semois, une famille de loutres a été aperçue gambadant le long du RAVeL 5 à Esneux, plusieurs meutes de loups se sont durablement installées en Ardenne et ont mis un terme à la surpopulation de sangliers et de cervidés résultant des excès passés. De Neufchâteau à Couvin, de grandes familles de propriétaires terriens, récemment acquis à la cause, se sont associées avec les pouvoirs publics pour recréer une vaste forêt ouverte et connectée. Une partie conséquente de celle-ci est laissée à elle-même en vue de créer la première nouvelle forêt primaire en Europe occidentale si chère à Francis Hallé. Une première harde de bisons d’Europe y est en cours de constitution. Le reste est géré selon les dernières techniques de pointe de l’agroforesterie. De nombreux et larges écoducs ont été construits pour assurer le maillage écologique de la Wallonie.

Les syndicats agricoles ont revu leurs fondamentaux et se sont réformés. Ils n’ont jamais eu autant de membres depuis que les villages se repeuplent de jeunes motivés par des projets locaux et durables. Les revenus des agriculteurs et des sylviculteurs se sont diversifiés, notamment grâce au tourisme tourné vers la Nature, en plein essor depuis la fin du low-cost aérien.

Suite aux pluies milléniales de juin 2035 sur tout le pays, la plupart des vallées ardennaises ont bien résisté grâce aux programmes de reméandration et de régénération de zones humides réalisés notamment en partenariat avec les Contrats de Rivière.

Le 5 février 2041, un lynx curieux et discret s’est même hasardé sur les hauteurs de Charleroi.

Les anciens sauvages sont de retour et les nouveaux sont devenus sages !

Cet article est l’édito des Carnets des Espaces Naturels N°17.

Crédit photo : Vallée de l’Hermeton © Christophe Danaux

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