
La majesté au vol des rapaces diurnes et leurs capacités de chasse exceptionnelles ont fasciné les humains depuis des millénaires. Ils sont chargés d’une symbolique forte liée à la puissance, la force et la vitesse. Comment ne pas être impressionné par ces êtres qui nous dominent du ciel et ne semblent avoir aucun ennemi (à part les humains) ? Bien que la catégorie des rapaces diurnes soit composée de nombreuses espèces, dans l’Ancien Monde, trois stars peuplent indéniablement la mythologie, l’Histoire et même la culture populaire : l’aigle, le faucon et le vautour (ou le condor pour le Nouveau Monde).
Sous les traits d’Horus, le Faucon pèlerin (Falco peregrinus), dieu du ciel et de la guerre symbolisait le pouvoir divin et royal dans l’Égypte ancienne. Le pouvoir de vigilance du Faucon crécerelle (Falco tinnunculus) y était aussi particulièrement apprécié. L’aigle, littéralement le plus emblématique est souvent considéré comme l’oiseau du Soleil, porteur du feu et de la lumière céleste. Des empires anciens aux nations modernes, on ne compte plus les représentations d’un aigle puissant au regard sombre et ténébreux en héraldique, sur les drapeaux, les équipements militaires liés à la force aérienne, les vêtements de Giorgio Armani ou à la présentation du journal télévisé du Muppet Show. Quant au vautour, l’occident moderne le perçoit comme un morbide charognard à la mauvaise réputation, mais nombre de mythologies orientales ou du Nouveau Monde lui donne un rôle beaucoup plus valorisant.
Hélas, en dépit de leur beau rôle culturel, de la noblesse de la fauconnerie et de leur rôle particulièrement bénéfique au sommet de la chaîne alimentaire, la perception des rapaces n’a pas toujours été positive. Que ce soit par la peur et la crainte qu’ils inspirent ou par leur proximité avec la mort, ils étaient (et le sont encore trop souvent, hélas) considérés comme des nuisibles à exterminer. Par le passé, le « bon sens » populaire incitait à regarder le ciel avec méfiance et la crainte de voir s’envoler un agneau, voire un jeune enfant justifiait souvent d’injustes massacres.
Certes, quand on voit la tête de la bien nommée Harpie féroce (Harpia harpyja) tueuse de singes vivant dans les forêts brésiliennes et dont la pression des serres peut être supérieure à celle de la mâchoire d’un grizzli, il y aurait de quoi s’inquiéter. Chez nous, rien de tel et la présence de ces princes aériens n’est pas une menace pour les humains ou le bétail. Si vous êtes propriétaire d’un chihuahua, restez toutefois prudent.e.s. En témoigne le tragique baptême de l’air de Chipie ce 15 juillet 2022 à Ham-sur- Heure : sous un soleil estival, Chipie se promenait paisiblement dans le jardin de sa maîtresse quand son petit corps fut soudainement emporté dans les cieux, bientôt rejoint par son âme. L’infortunée petite créature d’origine mexicaine fut retrouvée taillée en pièces dans un jardin voisin. Il semblerait qu’une Buse variable (Buteo buteo) l’ait confondue avec un jeune lapin.
En tant que prédateurs supérieurs, les rapaces sont très sensibles à la présence et aux variations d’abondance des proies ou de leurs cadavres. Parce qu’ils sont, dans le réseau trophique, situés au sommet de la « pyramide alimentaire », ils sont également sensibles aux taux de polluants ou contaminants bioaccumulés par leurs proies. Les pesticides et métaux lourds sont des causes importantes de disparition ou régression de nombreuses espèces. Pour ces raisons, ils sont considérés comme de bons bioindicateurs de l’état de leur environnement et de son évolution.
La protection juridique des rapaces en Europe a commencé à émerger au XXᵉ siècle, en réaction à leur déclin dû à la chasse, aux empoisonnements, à la destruction des habitats et à l’utilisation de pesticides. Dans les années 1970, une prise de conscience écologique a mené à l’adoption de législations nationales de protection. Cette dynamique s’est renforcée avec la Convention de Berne (1979) et surtout la Directive Oiseaux de l’Union européenne (2009/147/CE), qui interdit la capture, la détention et la destruction des espèces de rapaces, tout en imposant la conservation de leurs habitats. Aujourd’hui, la plupart des rapaces européens sont strictement protégés. Suite à l’interdiction des pesticides les plus dangereux comme le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), les effectifs de certaines espèces se sont même reconstitués de manière spectaculaire.
Pourtant, encore à l’heure actuelle, la menace n’est jamais bien loin : pesticides, mais aussi accidents de la route, braconnage, câbles à haute tension et éoliennes. En Wallonie, des expériences pilotes sont en cours pour protéger le Milan royal des pales des éoliennes et des infrastructures gérées par des bénévoles (CREAVES) accueillent les victimes de nos excès. Certains rapaces s’accommodent aussi plutôt bien de l’environnement urbain au grand dam des rats et des pigeons.
On revient donc de loin, mais petit à petit, les choses évoluent dans le bon sens grâce à des politiques de protection et des aménagements efficaces ainsi qu’à l’évolution des mentalités.
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