Lorsque l’on parle de lumière dans la nature, cela peut rappeler de beaux souvenirs de nuits chaudes de vacances lorsque l’on pouvait apercevoir des centaines de petites lumières dansantes, tels des feux follets. En réalité, il s’agit de coléoptères, de la famille des Lampyridae. Ces coléoptères font appel à un système de communication sexuelle très particulier : ils utilisent des signaux lumineux grâce au phénomène de bioluminescence.
Diversité et biologie des vers luisants : décryptage des noms vernaculaires et des modes de vie
La Belgique compte seulement trois représentants de la famille des Lampyridae, qui contient environ 2000 espèces au total. Il n’y a cependant pas encore de consensus concernant les noms vernaculaires en français, qui ne sont de plus pas toujours utilisés correctement. L’espèce la plus commune et la plus étudiée est le ver luisant commun (Lampyris noctiluca) aussi appelé lampyre, grand lampyre ou simplement ver luisant. Pour la seconde espèce, moins commune que la première, nous parlerons du ver luisant splendide pour désigner Lamprohiza splendidula, aussi appelé lampyre splendide, petit lampyre ou luciole.
Enfin, la troisième espèce est couramment, mais injustement appelée luciole à ailes courtes. Cependant, Phosphaenus hemipterus appartient aux Lampyrinae et non aux Luciolinae, cette espèce n’est par conséquent pas une luciole au sens strict, nom utilisé pour désigner les espèces du genre Luciola. Nous parlerons donc du ver luisant à ailes courtes. Cette dernière est la moins connue des trois espèces et recèle encore de nombreux mystères.
La bioluminescence
La bioluminescence est une réaction chimique qui a lieu entre une enzyme, la luciférase, et une protéine, la luciférine. Lorsqu’elles sont en présence d’oxygène et de molécules d’adénosine triphosphate (ATP) nécessaires pour fournir de l’énergie à la réaction, il en résulte l’apparition d’une lumière verdâtre. Contrairement à l’ampoule incandescente qui gaspille 90 % de son énergie en chaleur pour produire de la lumière, la bioluminescence est particulièrement efficace et permet de transformer près de 100 % de l’énergie en lumière. C’est pourquoi elle est aussi appelée « lumière froide ».
Mode de vie des adultes
Les vers luisants à ailes courtes sont diurnes et ne possèdent pas d’organes bioluminescents élaborés destinés à trouver des partenaires. Leur stratégie repose uniquement sur des phéromones pour attirer les mâles, et les deux sexes sont incapables de voler. Les vers luisants splendides et les vers luisants communs sont nocturnes et leur pic d’activité se situe aux alentours de 22 h et minuit environ. Les adultes de ces deux espèces ne vivent que 2 à 3 semaines, période durant laquelle ils se reproduisent (en juin-juillet), sans avoir besoin de se nourrir, car ils vivent sur les réserves accumulées durant le stade larvaire.
Les femelles de ces deux espèces sont aptères et signalent leur position aux mâles par bioluminescence : elles disposent d’organes bioluminescents sur la face ventrale les derniers segments abdominaux. La femelle du ver luisant commun tourne alors cette face vers le haut, le corps courbé en forme de C, alors que celle du ver luisant splendide dispose en plus de différentes zones bioluminescentes sur le corps, ce qui l’oblige à moins de contorsion, elle se contente de redresser légèrement l’extrémité de son abdomen pour attirer un partenaire.
Les mâles des vers luisants communs et splendides sont capables de voler, mais seuls les mâles de la deuxième espèce, émettent des signaux lumineux significatifs, que l’on observe d’ailleurs en vol et qui constituent un spectacle tout à fait remarquable. Chez le mâle du ver luisant commun, seuls deux points bioluminescents, vestiges du stade larvaire, sont présents mais ne s’allument que rarement, lorsque le mâle se sent menacé. Après l’accouplement, les femelles des trois espèces déposent leurs œufs au sol et meurent. Les trois espèces peuvent être observées dans une multitude d’habitats, tels que des forêts feuillues ouvertes, les jardins, les prairies naturelles, etc. mais marquent une préférence pour les lisières forestières et les zones humides.
Mode de vie des larves
Le stade larvaire des vers luisants splendides et communs dure 2 à 3 ans, période durant laquelle ils se nourrissent d’escargots (et de limaces), contrairement aux larves des vers luisants à ailes courtes qui consomment des vers de terre. Les larves des vers luisants communs possèdent de petits organes bioluminescents et produisent de brèves émissions lumineuses de quelques secondes avec de longs moments d’obscurité de durée variable.
Ces signaux ont probablement comme fonction d’annoncer leur goût désagréable (signaux aposématiques) à leurs prédateurs tels que les crapauds. Les larves des vers luisants à ailes courtes ainsi que celles des vers luisants splendides n’émettent des signaux bioluminescents que lorsqu’ils se sentent menacés. Les larves peuvent être observées lors de nuits humides et à une température de plus de 10°C environ, au printemps et au début de l’automne.
Impact de la pollution lumineuse sur les populations de lampyridae
Les Lampyridae font face à de nombreuses menaces. Les causes majeures de la régression mondiale des populations de vers luisants et de lucioles sont la disparition et fragmentation de leur habitat, la pollution lumineuse et l’utilisation des pesticides.
L’intensité et la couleur de la lumière artificielle joue un rôle important sur le succès de reproduction des vers luisants communs. En effet, les mâles parviennent avec moins de succès à localiser les femelles lorsque celles-ci sont illuminées par de la lumière artificielle, même à de très faibles intensités, comparables à celle d’une nuit de pleine lune. Aux endroits les plus illuminés, les femelles ne parviennent même pas du tout à attirer un partenaire, ce qui peut devenir problématique pour la survie des populations.
De plus, nous avons observé que les mâles réagissent à différentes couleurs de lumière : la lumière bleue semble rendre les mâles inactifs alors que la lumière orange tend à les attirer très fortement, au point de sembler leur faire perdre tout intérêt pour les femelles. La couleur de la lumière influence donc le comportement des mâles, et par conséquent aussi les capacités à localiser les femelles.
Il reste cependant encore de nombreuses inconnues concernant les effets des lumières artificielles sur les vers luisants communs, ainsi que sur les autres espèces de Lampyridae.
Aux endroits les plus illuminés, les femelles ne parviennent pas à attirer un partenaire, ce qui peut devenir problématique pour la survie des populations.
Stratégies de préservation et engagement citoyen pour l’avenir
Cependant, en l’état actuel de nos connaissances, nous pouvons déjà proposer plusieurs mesures qui pourront améliorer les perspectives des vers luisants : notamment l’utilisation d’armatures autour des réverbères pour orienter le faisceau lumineux au mieux vers la surface à éclairer, l’utilisation de détecteurs de mouvements pour allumer automatiquement les réverbères la nuit, etc. Cependant, la meilleure solution reste l’extinction des réverbères situés dans ou près des habitats des vers luisants durant les quelques semaines de la période de reproduction. Ceci a d’ailleurs déjà été réalisé avec succès dans certaines communes !
Enfin, tout le monde est chaleureusement invité à participer au monitoring des trois espèces de Lampyridae en Belgique en signalant ses observations de larves et d’adultes sur Observations.be ou iNaturalist.org. De cette manière, nous pourrons bénéficier d’une meilleure vue sur l’évolution des populations ainsi que sur leur répartition, afin de mieux protéger ces coléoptères remarquables !
Pour approfondir le sujet :
Le numéro 11 des Carnets des Espaces Naturels est entièrement dédié à la thématique de la pollution lumineuse. Une lecture à ne pas rater.
Dans cet article publié dans Frontiers in Ecology and Evolution, vous trouverez un résumé des récentes découvertes concernant les conséquences comportementales de la lumière artificielle la nuit sur les vers luisants.
« Un guide illustré des Lampyridae de France métropolitaine » de Lucas Benaiche.
Crédit photo de couverture : Mâles de ver luisant splendide (Lamprohiza splendidula) © Eric Malfait