Dans la mythologie grecque, Hadès, Perséphone ou les Érinyes, ces divinités chtoniennes (ou telluriques) liées à la terre vivaient dans un monde décrit comme infernal. Plus tard, les judéo-chrétiens ont recyclé le concept en imaginant un enfer souterrain destiné à accueillir les âmes damnées, où elles seront éternellement tourmentées par des dizaines de démons en tous genres (à la longue, il faut bien varier les plaisirs).
Au XIXe siècle, Jules Verne rédigeait « Voyage au centre de la Terre », un roman dans lequel une expédition scientifique menée par Otto Lidenbrock et son neveu Axel investit le monde souterrain via un volcan islandais et où ils vivent de spectaculaires aventures aussi invraisemblables qu’anachroniques. Au début du XXe siècle, c’est J.R.R. Tolkien qui nous emmène dans des grottes, des mines et des cavernes gigantesques, autrefois habitées par des armées de nains besogneux ou des dragons susceptibles.
Dans la culture moderne, Jim Henson invente le monde de Fraggle Rock (1983) peuplé de marionnettes rigolotes qui ne pensent qu’à s’amuser. Une trêve pleine de légèreté avant de retomber à nouveau dans la perception d’un monde souterrain sombre et oppressant avec des séries télévisées comme Stranger Things (2016) ou Dark (2017).
Mais pourquoi donc le monde souterrain a-t-il toujours inspiré autant de mystères et de craintes ? Peut-être tout simplement parce qu’à l’instar des abysses, ce sont des milieux difficiles d’accès et peu connus alors que la plupart des zones de surface n’ont quasi plus de secrets pour personne. Pourtant, quand ils sont explorés, ils offrent des paysages spectaculaires, quasi surnaturels, silencieux où l’eau a parfois sculpté des palais entiers que ne renierait pas l’empereur moghol Shâh Jahân lui-même !
L’humain n’a pas toujours été effrayé par les cavités. Au paléolithique, elles offraient de commodes refuges contre les éléments et la mégafaune féroce qui peuplait presque tous les continents à l’époque. Dans un tombeau de silence et d’obscurité, beaucoup de traces, d’outils en silex et d’ossements témoignent encore de cette période.
En Wallonie, certaines régions sont reconnues pour leurs nombreuses grottes et cavités. Celles-ci sont le fruit du long travail de l’eau sur la roche calcaire. Toutes ces zones, du moins celles dont on a connaissance, sont largement cartographiées et détaillées par les spéléologues en partenariat avec le SPW. Ces données sont consultables sur le portail cartographique de la Wallonie.
Les spéléologues ne se content pas de cartographier les sites, mais ils réalisent aussi des relevés et des analyses de la faune peuplant le monde souterrain. Ici, point de dinosaures, de plantes géantes, de nains, de dragons ou de fraggles, mais une multitude de petites créatures peu colorées vivant au ralenti (et plus longtemps que leurs cousines de surface), souvent dans l’obscurité la plus totale.
Bien loin du monde infernal chtonien, le monde karstique wallon est paisible. Seule une crue peut, à l’occasion, bouleverser les choses quand un filet d’eau souterrain se transforme en déversoir niagaresque auquel cas il vaut mieux ne pas s’attarder dans les parages. Cette paix, vitale pour les animaux troglobies et troglophiles, comme les chauves-souris, est parfois aussi troublée par l’exploitation touristique de certaines grottes dont on devine que les mises en scène tonitruantes ne doivent pas être du goût des espèces les plus fragiles.
Au même titre que d’autres milieux naturels sensibles, ce sont des milieux à protéger. De la pollution, de l’érosion des concrétions et des roches, du pillage, de la surfréquentation, de la lumière et du bruit. À cette condition, nous pourrons continuer à nous émerveiller de ce que la Nature est capable de faire pendant des centaines de milliers d’années, loin des regards.
Cet article est l’édito des Carnets des Espaces Naturels N°18.
Crédit photo : « Journey to the Center of the Earth » – Henry Levin (1959) © Sony Pictures Entertainment