La belle part de l’ombre

À l’exception des jeunes amants et des astronomes qui y trouvent leur compte, la nuit a toujours été associée au danger et à la mort dans beaucoup de cultures. Le royaume grec d’Hadès, l’Helheim viking ou le royaume de Yomi japonais sont des endroits ténébreux réservés aux défunts. La peur ancestrale du « noir » semble être un vestige de notre ancienne vie de primate sauvage bel et bien diurne.

Depuis la préhistoire, l’homme a toujours caressé le rêve prométhéen de dominer la nature par le feu. Unique source de lumière artificielle pendant des siècles, il permit aux premières sociétés de repousser l’obscurité au-delà de l’alternance naturelle du jour et de la nuit. Un confort d’autant plus appréciable que l’on remonte vers le septentrion et sa longue nuit hivernale.

Au XVe siècle et surtout au XVIe siècle, les premiers centres urbains sont éclairés, moins par souci sécuritaire que par volonté de représenter le pouvoir, embellir et structurer le cadre. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que cet aspect de l’éclairage urbain va se développer. Éclairer la nuit donne un sentiment de sécurité (et permet de voir les malfrats pour les attraper).

Tout cela n’est pas très conséquent pour la faune et la flore tant que le besoin reste localisé aux centres habités avec des techniques que l’on pourrait qualifier de rudimentaires au regard de la débauche de rayons en tous genres qui se développera à partir du XXe siècle suite à l’utilisation de l’électricité, à l’étalement urbain et au développement des réseaux de transports motorisés.

Jusqu’aux années 80, il était encore possible de voir assez clairement la Voie lactée par temps dégagé. C’est à partir de ce moment que les astronomes constatèrent un effet de halo et une diminution progressive du ciel nocturne. Prométhée devient vaniteux et veut éclairer tout et partout. Technologies évoluées et abondance d’énergie engendrent un nouveau type de pollution : la pollution lumineuse.

Hélas, les effets sur la faune, la flore, mais aussi sur la santé humaine ne se font pas attendre. La nature n’a que faire de nos caprices anthropocentrés et de nombreuses espèces de chauves-souris, d’insectes ou encore d’oiseaux sont impactées par ces photons parasites. La pollution lumineuse peut nuire directement à la physiologie des animaux et des plantes ou indirectement en perturbant les schémas migratoires ou encore en modifiant le cadre écologique des espèces.

À partir des années 90 et au début des années 2000, la prise de conscience est réelle et tant les astronomes que les naturalistes s’inquiètent à juste titre de la perte de ce bien commun aussi évident qu’est le ciel étoilé. Plusieurs associations de défense de l’obscurité voient le jour en Europe et outre-Atlantique et des actions de sensibilisation « La nuit de l’obscurité » (un pléonasme que l’on voudrait voir réhabilité en fait) sont organisées un peu partout pour conscientiser le grand public.

Dans les faits, la situation évolue progressivement, mais se heurte encore trop souvent à divers biais comme celui qui laisserait à penser qu’une route éclairée apporte automatiquement plus de sécurité ou que chaque clocher doit être éclairé toute la nuit parce que c’est joli. Sans compter les nombreux zonings en tous genres éclairés en permanence comme des stations spatiales.

Le réchauffement climatique et le coût de l’énergie sont régulièrement les seules raisons avancées pour moderniser les réseaux d’éclairage, mais la biodiversité est rarement prise en compte. Heureusement, dans le cadre des plans d’aménagement pour réhabiliter les espaces naturels, le concept de « trame noire » vient s’additionner transversalement à celui de la « trame verte et bleue » déjà mieux intégrée. Cela implique d’être non seulement attentif à l’opportunité d’un éclairage ou non, mais aussi au type d’éclairage. L’enfer est parfois pavé de bonnes intentions…

Retrouverons-nous un jour une voûte céleste épurée dont le spectacle grandiose nous pousse à faire preuve d’humilité ? Au vu des frasques satellitaires du nouveau titan à la tête de Tesla, rien n’est jamais acquis, mais la conception d’une trame noire efficace en Wallonie est un projet tout à fait accessible et souhaitable.

Cet article est l’édito des Carnets des Espaces Naturels N°11.

Crédit photo : Rochers de Frênes, Profondeville © Christophe Danaux

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